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Sans Solo,
on sera encore plus seuls qu’avant

par Brito

Au tout début des années 70, il y avait une belle équipe de dessinateurs qui sévissaient dans les pages de L’Unité, tous plus ou moins au même diapason que l’ami Solo, farouche partisan du dessin comme au temps du cinéma muet. Aujourd’hui, alors que règne la mode du dessin bavard, la plupart des chefs de rédaction, qui ne comprennent que l’écrit et rien de rien au dessin, nous prennent pour des dinosaures et certains essaient même de nous faire disparaître définitivement des pages des journaux qu’ils dirigent.

Solo par SoloÀ l’époque, nous étions donc quelques jeunes et beaux dinosaures à l’unisson sur cette question fondamentale - laisser ou ne pas laisser s’exprimer le dessin en tant que tel à la place du rédacteur et même du dessinateur - et, du coup, l’hebdomadaire du Parti Socialiste devint autre chose qu’un simple organe de Parti. En effet, L’Unité se présentait alors comme un journal non seulement pluraliste dans son expression graphique grâce aux nombreux dessinateurs aux différents styles qu’il accueillait dans ses colonnes, mais aussi plus profond en raison des multiples « messages subliminaux » cachés derrière des dessins le plus souvent sans paroles qui permettaient à l’imaginaire des lecteurs d’y voyager en toute liberté.

C’est en ce creuset on ne peut plus prometteur que j’ai commencé à apprendre le métier de dessinateur de presse et que j’ai fait la connaissance de Solo et de ses caricatures minimalistes et pourtant si riches grâce à un long travail d’épure.
Il y avait le grand Coureuil (bêtement placardisé et commis au titrage au Letraset par une folle dont je tairai le nom par charité) et qui ne dessine presque plus, mais qui peint, sculpte et fait dessiner les autres ; Teich qui a disparu avec armes et bagages quelque part au fin fond du Midi, lui qui n’était jamais à l’heure avec ses petits « strips » absolument géniaux ; le regretté Pym qui nous enchantait avec ses magnifiques collages et qui nous a définitivement quittés, il y a quelques années déjà ; l’excellent Vasco qui, j’en suis sûr, ne se fait surtout pas bronzer au bord de sa portion portugaise de l’Atlantique tout en faisant toujours du dessin, mais aussi, sinon surtout, de la peinture ; le toujours pressé Forcadell qui n’arrêtait pas de passer en courant et qui, je crois, ne dessine plus non plus.

Et puis il y avait donc maître Solo qui, en deux ou trois traits bien affûtés, tirait avec une apparente facilité le portrait complètement distordu et ramené à l’essentiel des soi-disant grands de ce monde.

Mitterand par SoloEn 1981, François Mitterrand fut élu président de la République et le Parti Socialiste décida qu’il n’avait plus besoin de sa feuille de chou à usage militant. L’aventure de L’Unité se termina ainsi et tout ce petit monde qui, en fait, se situait politiquement bien plus à gauche que le Parti en question, se trouva au chômage et partit donc chercher fortune ailleurs. Cependant, certains d’entre nous ont continué de se voir et même de faire, parfois, des choses ensemble lorsque l’un ou l’autre avait la responsabilité artistique de telle ou telle publication. On savourait alors le plaisir de se retrouver dans l’amitié et de constater qu’on était toujours un peu sur la même longueur d’onde en tant que dessinateurs, mais pas seulement. Autour, certains tournaient casaque et d’autres s’adaptaient aux lois du marché en s’offrant au plus offrant.

Bien plus tard, nous prîmes l’habitude de nous rencontrer dans les Festivals de dessin plutôt que dans les couloirs des journaux parisiens. Je croisais alors Solo tenant l’inévitable verre de whisky d’une main et de l’autre la Gitane (ou la Gauloise, je ne sais plus) qui allait finir par le tuer. On profitait alors pour dire du bien des amis et du mal des « ennemis », bien évidemment. C’est qu’on partageait quelques opinions bien tranchées et l’on ne faisait pas de concessions là-dessus… En toute subjectivité.

Ces derniers temps, on se voyait moins souvent. Solo ne sortait plus beaucoup et moi je me suis un peu retranché dans ma Touraine d’adoption. Alors, on se téléphonait de temps à autre, surtout lorsque, ayant oublié de renouveler mon abonnement à  Caricatures et Caricaturistes, je lui demandais, un peu gêné, quel chiffre je devais écrire sur mon chèque pour continuer à recevoir ce qui était devenu un de ses travaux d’Hercule pour la promotion et la défense de cette espèce de chose en voie d’extinction : le dessin de presse.

Caricatures et CaricaturistesJustement, je m’apprêtais à l’appeler, Solo. Pour le plaisir d’entendre sa voix et pour lui souhaiter bonne année et puis aussi pour mettre mon abonnement à jour. Trop tard.

Pour tenter de nous consoler un peu de la perte de l’ami Solo, on pourrait toujours se dire qu’il est parti en bonne compagnie puisque la Camarde vient d’emporter également l’iconoclaste dramaturge et néanmoins Prix Nobel de Littérature Harold Pinter, ennemi intime des Bush et Blair réunis dans le même méfait irakien. Et puis aussi Eartha Kitt, qui avait fait scandale dans la cour du président Lyndon Johnson en élevant la voix, qu’elle avait fort belle, contre la guerre du Vietnam. Bref, rien que des gens pas très fréquentables et qui n’ont pas arrêté de bousculer les puissants dans l’exercice de leur puissance, rien que des artistes pratiquant leur art envers et contre tous, dérangeants comme il se doit et de ce fait dignes du nom d’artiste. Alors oui, on pourrait se dire que notre ami Solo, toujours fier et droit, s’en est allé en bonne compagnie, mais il va quand même beaucoup nous manquer et rien ne l’excusera d’être parti trop tôt et aussi vite, sans même prévenir ses amis.

Au fait, puisqu’on a cité un prestigieux Prix Nobel, à quand un Prix Nobel de  la Paix d’Esprit Dérangée pour récompenser les dessinateurs de presse, ces dynamiteurs de l’actualité qui ne jette pas de la poudre aux yeux du public et qui ne tue point des civils ni même des militaires tout en secouant sans aucun sérieux les neurones un peu endormis du lecteur de journaux lambda ? L’ami Solo l’aurait bien mérité, ce Prix Nobel de la Paix pas comme les autres, mais d’expérience nous savons que ce n’est pas de ces Prix-là que l’écrasante majorité des dessinateurs raffole. Surtout pas de Prix Nobel, quel qu’il soit, et surtout pas, non plus, de Légion d’Honneur, comme l’aurait proclamé haut et fort un certain Daumier qui, en son temps, l’a refusa. Un simple Prix du Public, cela oui n’a pas de prix. Et Solo l’aurait mérité mille fois, ce Prix, si le public avait eu la chance de voir plus souvent ses caricatures publiées dans nos journaux.

Enfin, je voudrais ajouter, en un dernier hommage à l’ami et à l’artiste qui vient de nous quitter, que les dessinateurs de presse seront encore plus seuls à gratter dans leur petit coin maintenant que Solo est parti avec son crayon magique sous le bras. Mais nous serons aussi plus ignorants, car Solo était également un chercheur de qualité et il a emporté avec lui ce besoin qui était le sien de savoir toujours plus sur l’histoire du dessin de presse et surtout de nous le transmettre. Il avait encore tant à nous apprendre sur les  « Caricatures et les Caricaturistes »  de France, l’historien Solo. Cela aussi va nous manquer.
Adieu l’ami Solo mio.

Brito
Puchard, le 31 décembre 2008