«
Quand la France s'ennuie... »
De
la fin de la guerre d'Algérie aux premiers mois
de 1968, la France va vivre une période relativement
calme. La nation essaie de cicatriser les blessures des
deux guerres coloniales qui se sont succédées.
Cette tranquillité n'est qu'apparente.
En
1965, la mise en ballotage, inattendue, du Général
de Gaulle par François Mitterrand, au premier tour
des élections présidentielles, est un des
premiers signes de la montée d'une opposition face
au règne absolu des gaullistes. Sur fond de prospérité
économique, la société française
profite de sa richesse et consomme.
Dans
un article du Monde titré « Ouand la France
s'ennuie », le journaliste Pierre Vianson Ponté
écrit « Ce qui caractérise notre vie
publique, c'est l'ennui. Les Français s'ennuient.
Le général de Gaulle s'ennuie... ».
Le
pouvoir est loin de se douter que le courant protestataire
qui parcourt le monde, attisé par une vaste mobilisation
étudiante contre la guerre des Américains
au Vietnam, va faire en France autant de ravages.
Dès
la fin 1967, la contestation aux tentatives de réformes
du gouvernement gagne les lycées et les facultés.
L'agitation ne va plus cesser jusqu'à la fin de
l'été 1968.
Manifestations,
occupations d'universités, barricades et grèves
générales vont peu à peu paralyser
la vie de la nation. Incapable de réagir face à
cette révolte de la jeunesse, le gouvernement connaît
une crise politique majeure. L'autorité du Général
de Gaulle est sérieusement ébranlée.
Si
des revendications salariales sont, lors des conflits,
mises en avant, c'est surtout le droit à l'expression
qui est la principale exigence de ces moments-là.
« L'Enragé » : douze numéros
historiques
Au
mois de mai 1968, la France connaît une vague d'agitation
sans précédent. Les étudiants sont
dans la rue, des barricades sont dressées à
Paris dans le Quartier Latin et l'activité économique
du pays est paralysée par les grèves d'ouvriers.
Le gouvernement répond par la force et semble être
tétanisé devant une situation qu'il n'avait
pas prévue.
Siné
s'investit totalement et participe activement aux événements,
manifestations, tracts, affiches, collages et avec Jean
Schalit et Wolinski, il collabore au journal Action.
La
plupart des journaux sont en grève et Action, diffusé
à la criée par les étudiants, a la
part belle dans l'information quotidienne. C'est dans
ce journal que Wolinski publie ses premiers dessins politiques.
Siné
quitte Action après que des dessins sur la CGT
lui ont été refusés et fonde L’Enragé,
ainsi décrit par Jacques Glénat dans la
revue « Opus » : « L’Enragé
c'est aussi une page d'histoire. Ces douze numéros,
et surtout les huit premiers, résument à
la fois la colère d'une nation, ses motifs et le
déroulement des événements. On n'avait
jamais vu une contestation ouverte aussi insolente dans
un journal depuis les temps héroïques de "L
Assiette au Beurre "» au début du siècle.
Le
vendredi 24 mai 1968 paraît - avec encore l'appui
de l'éditeur Jean-Jacques Pauvert - le premier
numéro de L'Enragé, sur huit pages. Il est
imprimé à 100 000 exemplaires qui sont vendus
à la criée par les étudiants au cours
des manifestations.
Le
journal est réalisé dans la tourmente, dessiné
sur des tables de bistrot, bouclé en quelques heures
chez l'imprimeur. En deux mois, Siné changera cinq
fois d'imprimeur. Wolinski, Topor, Cabu, Gébé,
Malsen, Cardon, Willem, Flip, y collaborent régulièrement.
Mais on y découvre aussi des dessins de Soulas,
Pétillon, Sabadel, Bosc, Reiser et les premiers
dessins politiques de Loup.
Dans
L’Enragé, les CRS sont présentés
comme des assassins sanguinaires. Dans le n° 1, on
trouve une série d'auto-collants dont le plus célèbre
conseille: « Si vous voyez un CRS blessé,
achevez-le ! ». Une information contre X sera ouverte
contre L’Enragé, et ce slogan sera dénoncé
dans un article de France Dimanche, sur cinq colonnes
à la une, par Raymond Marcellin, ministre de l'Intérieur.
Une directive accompagne les autocollants : « Collez-les
partout ! Nous vous recommandons le dos des CRS, si vous
n'avez pas de colle... clouez-les ! »
La
« une » du deuxième numéro est
un faire-part de deuil avec ces deux mots écrits
en caractère gothique : « Crève général
». Le n° 5, tout en nuances, publie le portrait
d'Hitler en couverture, et de la propagande nazi sur huit
pages, sans aucun commentaire. De Gaulle est une cible
privilégiée pour les dessinateurs : Willem
le dessine en handicapé, appuyé sur des
béquilles représentant le sigle des SS ;
Cabu l'enterre déjà férocement au
Panthéon.
Les
lettres d'injures, les inculpations, les procès
pleuvent, rien n'est épargné à Siné
qui pousse la provocation jusqu'à publier les lettres
des lecteurs hostiles.« Les pavés d'ici sont
plus lourds que ceux de Paris j'ai le bras droit complètement
ankylosé ! ». Fin juin, Siné part
pour le Brésil où un éditeur lui
a commandé un livre sur la C.I.A. et confie le
journal à Wolinski. A Rio aussi, comme dans plusieurs
pays à travers le monde, les étudiants sont
en pleine révolte. Siné diffuse des informations
sur les événements français et entame
une série de conférences dans les Universités.
Il commente ses impressions de voyages, ainsi dans le
n°6 de L’Enragé
« Les pavés d'ici sont plus lourds que ceux
de Paris j'ai le bras droit complètement ankylosé
! ».
Ou
bien il note dans une lettre : « Pendant les manifs
la population prenait parti comme à Paris pour
les jeunes contre les ordures : les flics et les militaires
ont reçu de tout sur la tronche : pavés
poubelles ; eau de javel, pots de chambres…
Il
est réconfortant de constater qu'à 10 000
km de Paris dans l'hémisphère Sud de ce
monde jusqu'ici pourri, les forces de l'ordre sont haïes
de la même façon et sans discrimination».
Un
autre résultat de ce séjour sera la participation
de dessinateurs brésiliens à L’Enragé.
Pour le n° 7, Siné envoie des dessins de Ziraldo,
Claudius, Lobianco.
A
la rentrée de septembre, Pauvert finance quatre
numéros mais fixe un seuil de viabilité
à 35 000 exemplaires.
Hélas,
les vacances d'été sont fatales à
l'esprit de mai : la reprise de la vie économique,
sociale et politique du pays démobilise les militants.
Consacré à la préparation des Jeux
Olympiques de Mexico, aux massacres d'étudiants
par la police mexicaine et à la guerre du Vietnam,
le numéro 9 paraît le 7 octobre.
Mais
ce n'est plus ça: la contestation s'est apaisée.
Trois numéros de L’Enragé vont encore
paraître, en novembre 1968, le n° 12 sera le
dernier.
Les suites de mai 68
Mai
68 et sa vague de contestation aura ébranlé
l'état U.D.R. L'agitation dans les lycées
va continuer jusqu'en 1973, date à laquelle se
crée le quotidien Libération qui consacrera
plusieurs numéros spéciaux dessinés
à ces mouvements.
Une
fois la « révolution » de 68 achevée,
on constate que la société française
a bougé, explosé même. Les mentalités
changent, certains blocages sautent.
Le
3 février 1969 paraît le numéro un
de Hara-Kiri Hebdo (LIRE ENCADRÉ) et son
équipe s'intéresse désormais à
l'actualité. On sent que Siné, avec L’Enragé,
a ouvert la voie à un humour politique virulent.
Siné
ne fait pas partie de l'équipe mais l'esprit qui
y règne rend la filiation évidente. Il rejoindra
l'hebdo plus tard.
Au
mois d'avril, le Général de Gaulle, mis
en échec par la victoire des non au référendum
qu'il avait demandé sur la régionalisation
et le rôle du Sénat, quitte le pouvoir.
Le
tout nouveau journal est en première ligne pour
commenter la campagne électorale et l'élection
de Georges Pompidou à la Présidence de la
République.
Autour
de François Cavanna et de Georges Bernier (le Professeur
Choron) on retrouve l'équipe du mensuel : Cabu,
Wolinski, Gébé, Willem, Fournier et Delfeil
de Ton. Le premier numéro est tiré à
50 000 exemplaires ; il s'en vendra 10 000.
C'est
la mort, en novembre 70, du général de Gaulle
qui donne le coup de pouce du destin. « La France
est orpheline » selon l'expression de Pompidou et
le 16 novembre Hara-Kiri est dans tous les kiosques avec
en Une ce titre, trouvé par Choron, et encadré
comme un faire part : « Bal tragique à
Colombey : un mort ! » (1).
En
fin de matinée le ministre de l'intérieur,
Raymond Marcellin, interdit le journal pour... pornographie
: les services du ministère ont relevé dans
les numéros précédents
quatre pages où sont représentés
des sexes masculins!
Mais
le prétexte est trop gros et l'équipe crie
à la censure déguisée. Elle se défend
bec et ongles. Combat, Le Figaro, L'Humanité, Le
Parisien Libéré, les radios, la télé,
s'indignent de cette décision arbitraire. Françoise
Giroud, Michel Polac,les partis politiques de gauche,
les jeunes gaullistes, prennent fait et cause pour l'hebdo
et contre la censure.
Malgré
les risques judiciaires, le journal reparaît, pratiquement
à l'identique, sous le titre de Charlie Hebdo.
Un cahier central de bandes dessinées a été
rajouté pour faire diversion. Raymond Marcellin
redoutant un nouveau tolléde la presse n'ose pas
l'interdire. Le journal bénéficie de cette
publicité involontaire et peu à peu le tirage
atteint les 180 000 exemplaires.
L'hebdo
est représentatif de ce nouvel esprit de «
vouloir vivre autrement » qui règne dans
la jeunesse après 68. Il se vend bien et les «
Editions du Square » prospèrent. Elles lancent
un mensuel écologiste La Gueule Ouverte qui trouve
assez vite 40 000 lecteurs et devient hebdomadaire. Hélas,
il ne survivra pas à la mort en 1973, de son créateur
etanimateur Pierre Fournier.
De
1971 à 1974, la vente de Charlie Hebdo progresse.
En 74, Pompidou, malade, meurt. Gébé dessine
une couverture représentant un Pompidou bouffi
barré d'une croix surmonté de cette légende
: « Plus jamais ça! ».
Cette
virulence pourtant ne va pas lui faire gagner des ventes.
Pendant l'élection présidentielle, le journal
appelle à voter Mitterrand, non sans quelques remous
parmi les lecteurs. L'arrivée au pouvoir de Valéry
Giscard d'Estaing, élu sur un programme de changement,
fait souffler, les premiers mois, un vent de libéralisme.
La contestation se fait moins agressive et la crise pétrolière
mettra un terme à bien des utopies. Charlie prend,
au fil des ans, un « coup de vieux » ; ses
lecteurs commencent
au fil des ans à l'abandonner et malgré
plusieurs tentatives faites pour le réanimer il
cesse de paraître le 23 décembre 1981, ironie
du sort, après l’arrivée de la Gauche
au pouvoir.
Il faudra attendre 1992 pour voir renaître le titre.
En 2008, il est toujours, avec Le Canard enchaîné,
un des rares titres de la presse satirique en France.
Cavanna,
Siné, Willem, Cabu y collaborent toujours et vont
sans doute fêter dignement mai 68.
François
Forcadell
(Guide du dessin de presse et de la caricature. Syros)
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Les
dessins sur Mai 68
dans notre catalogue >> |
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Avant
Mai 68 :
Répétition générale
En
1962, l'indépendance de l'Algérie
ayant été proclamé,
Siné
quitte L’Express, hebdomadaire en
pointe contre la guerre d’Algérie
et crée avec la complicité
de l'éditeur Jean-Jacques Pauvert
son premier journal Siné Massacre.
Siné
Massacre est un véritable brûlot
éditorial.
En 9 numéros diffusés, il
aura 9 procès. La seule censure
qu'il s'impose vise les dessins «
mous ».
Le
n° 1 paraît le 20 décembre
1962. Les deux premiers numéros
ont quatre pages, entièrement dessinées
par Siné. Il s'y livre avec volupté
à ses penchants anti-militaristes,
anti-gaulliste, anti-cléricaux.
Les numéros suivants développent
les thèmes du pied-noir, de la
liberté de la presse, avec un code
de la presse illustré, de l'amour,
et de la papauté.
On
y trouve des dessins de Cardon et de Strelkoff.
D'abord hebdomadaire pour les sept premiers
numéros, il augmente sa pagination
à 32 pages et devient mensuel pour
les numéros 8 et 9, parus en mars
et avril 1963.
D'autres
dessinateurs collaborent à Siné
Massacre : Avoine, Bovarini, Loris, Nuez,
Philippe, Linke; et les cubains, Chago,
Rosso, etc.
Lorsque le journal cesse ses activités,
Siné part s'installer en Algérie.
(A
signaler qu'à cette époque
certains dessinateurs américains
– Vip, Saül Steinberg –
font sentir leur influence sur le dessin
français qui se porte alors vers
un humour absurde ou noir. Des journaux
comme France-Dimanche, Art & Constellation
publient les premières œuvres
d'auteurs que l'on retrouvera plus tard
dans une presse nettement plus engagée.
Parmi eux, Bosc, Gébé, Reiser,
Trez.)
Hara-Kiri
mensuel
bête et méchant.
Pour
expliquer ce qui se passera plus tard
dans le domaine du dessin d'humour et
indirectement du dessin politique, il
est impossible de faire l'impasse sur
la création, en 1961, du mensuel
Hara-Kiri.
Si
le journal n'aborde pas la politique,
son humour « bête et méchant
» bouscule et scandalise quelque
peu une société aux mœurs
assez coincés. Son second avantage,
c'est d'accueillir dans ses colonnes des
dessinateurs débutants, Fred, Wolinski,
Reiser, Cabu, Gébé, Fournier,
Willem, qui, sous la houlette de Cavanna
et du Pr Choron, apprendront dans ce journal
les rudiments du mauvais esprit et de
la liberté de dessiner.
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Ça se lit mieux
en le dessinant
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