Fait d'images

le blog de françois forcadell – l'image dessinée dans l'actualité

Le dessin satirique est-il si ringard que ça ?

5 septembre 2012 à 10 h 59

Trop méchant, trop cynique, trop dérangeant, trop militant, trop vieillot ? Il faut se rendre à l’évidence le dessin satirique, le dessin d’opinion, n’a plus vraiment la cote dans les médias, et si quelques journaux « spécialisés » continuent à en publier on ne peut pas dire que l’engouement du public se traduise dans les chiffres de ventes.

Même le pourtant réactionnaire Figaro n’a pas jugé bon de remplacer son « éditorialiste » Jacques Faizant disparu en 2006, et on ne sait pas encore si Sud Ouest trouvera un remplaçant à Iturria parti à la retraite cet été après 40 ans de collaboration. Et les télés ? Si beaucoup reconnaissent l’apport des dessins au ton iconoclaste de Droit de réponse de Michel Polac, depuis sa disparition en 1987 aucune émission n’a repris le concept. Aucune télévision n’utilise d’ailleurs le dessin satirique à l’antenne. L’humour et l’ironie sont partout, la caricature nulle part.

La tendance du dessin aujourd’hui dans la presse est à l’illustration, substitut original à la photo. On ne demande plus aux dessinateurs de s’exprimer mais de réaliser une composition graphique qui agrémentera – dans le format imparti – l’article qui le côtoie. Une aubaine pour le métier d’illustrateur, encore faut-il savoir que celui-ci est pas mal pratiqué et que, entre les élèves d’écoles d’Art en mal de débouchés professionnels, les dessinateurs de bande dessinées en panne d’album, les illustrateurs dont c’est la profession et à qui on ne pense pas forcément, sans oublier le neveu du rédacteur-en-chef qui dessine lui aussi, on se bouscule pas mal au guichet d’entrée.

La satire est un mode d’expression qui a traversé les siècles, et nul doute que le mauvais esprit a encore de beaux jours devant lui. La caricature aussi, cette façon de forcer le trait pour mieux montrer, ou démontrer ce qui ne va pas est pratiquée depuis la nuit des temps. On peut avoir des doutes pour le dessin satirique, même s’il a de nombreux atouts.

Lorsqu’il est écrit qu’un bon dessin vaut mieux qu’un long discours, cela veut dire qu’un bon dessin – intelligent, malin, lisible (il peut être beau aussi) – ne ment pas, contrairement aux torrents de mots, de phrases, d’idées foireuses, d’articles de circonstance, de promesses à géométrie variable, qui peuvent facilement nous manipuler.

Le langage du (bon) dessin est lui immédiat et universel. Comment alors expliquer ce désintérêt et à qui la faute ? Ces dernières décennies les moyens de communication et d’expression ont évolué à une vitesse vertigineuse, video, multiplication des télévisions, Internet, smartphones. Les mentalités aussi. Le dessin satirique, lui, se pratique encore comme on le faisait dans les années 1970, avec ses stéréotypes, ses codes de lecture, souvent abscons pour le commun des lecteurs. D’ailleurs il faut bien constater que le dernier carré de supporters de journaux satiriques se compose en majorité des heureux rescapés de cette période. Les nouvelles générations s’éclatent (expression d’époque) elles, sur Internet ou pratiquent la dérision tous azimuts sur Twitter ou Facebook.

Et si quelques sites Internet de presse ouvrent leurs pages au dessin « satirique » il faut là aussi constater – malgré quelques exceptions – que le critère n’est pas toujours la pertinence, ni la qualité du propos (même édulcoré), mais bien le tarif dérisoire – quand il y en a un – que l’auteur accepte pour être publié.

Alors quelle solution à ce problème (cependant moins grave que Fukushima ou la Syrie) ? Aucune, ou mutiples. Il suffirait peut-être aux dessinateurs d’imaginer, de réinventer leurs supports, de réaffirmer la qualité du trait et l’originalité de l’expression, comme l’ont fait en leur temps les créateurs de journaux indépendants. De retrouver une liberté qui leur permettrait d’exprimer pleinement tout leur talent et de donner une nouvelle image de leur savoir faire. La création c’est beaucoup de boulot mais elle fait partie de l’ADN du métier et il n’est jamais trop tard pour commencer. ff

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