Fait d'images

le blog de françois forcadell – l'image dessinée dans l'actualité

LE Cavanna

19 janvier 2011 à 12 h 10

Désolé, je vais parler de moi.

Il y a quelques années je me suis permis d’écrire à Cavanna pour lui expliquer que je faisais partie de cette génération qui avait biberonné à l’esprit libertaire de Charlie Hebdo et que je ne comprenais pas comment lui, Cavanna, LE Cavanna, l’anticonformiste, le pourfendeur d’idées toutes faites, pouvait céder en viager à Philippe Val, arriviste patenté et boursouflé de lui-même, un titre aussi mythique.

Cette missive impudente ne me valut aucune réponse mais une sévère réprimande de Cabu offusqué que je puisse m’adresser en ces termes à son père spirituel.

Le temps m’a donné raison, et Val, celui que j’ai toujours considéré – dès 1992 -, comme un usurpateur à la tête de Charlie Hebdo, a poursuivi son ascension sociale et médiatique. La seule bonne nouvelle de sa nomination à France Inter c’est qu’il a du restituer aux dessinateurs les commandes de l’hebdomadaire. Il en reste cependant actionnaire de la société éditrice et de la société immobilière qui héberge le journal (merci de me démentir si ce n’est plus le cas). Le bel hold-up.

Pour la défense de Cavanna, il n’est pas le seul a s’être fait gruger par l’ancien comique de variétés et même si beaucoup dans l’équipe continuent à vouer à Philippe Val une admiration sans bornes, c’est Cavanna qui a sauvé l’honneur d’une rédaction tétanisée par les choix à faire lors du licenciement de Siné en 2009.

Cavanna a pris position, nettement, publiquement, et il aura fallu, « l’affaire Siné », pour que je retrouve MON Cavanna. Optant résolument pour la défense de Siné, malgré les sarcasmes de Cabu et de Wolinski qui lui reprocheront par son attitude de mettre en péril le journal. Cavanna en appellera à l’esprit de Charlie, celui d’antan. Celui dans lequel Reiser, Choron, Gébé, Wolinski, Cabu, Delfeil de Ton, Willem, ne se fixaient comme limites que celles de leur talent. À l’époque les rédacteurs en-chef (c’était imprimé « rédacteur-en-chef : toute l’équipe ») ne cherchaient pas l’adoubement de leurs collègues parisiens, ne se vantaient pas de déjeuner avec Laurent Joffrin, ne pontifiaient pas dans les médias, ne fricotaient pas avec le Verts, ne voulaient pas faire de livre avec Jean-Pierre Chevènement, n’interviewaient pas les grands pontes de l’industrie comme Jean-Marie Messier, ne se faisaient pas éditer par BHL, et ne se servaient pas du journal pour favoriser une carrière de chanteur de bluettes en publiant les dates de ses spectacles.

L’audace de cette équipe historique était alors de « chier dans la colle et dans les bégonias » en toutes libertés comme le revendiquera plus tard Siné.

Cavanna est redevenu Cavanna, à mon sens.

C’est lui qui publie aujourd’hui « Lune de miel », un livre témoignage sur sa vie, sur la maladie de Parkinson qui le frappe et la mort qui rôde. Il revient aussi sur les « vingt-cinq ans merveilleux » passés à Hara-Kiri, puis à Charlie Hebdo, l’original, et sur les derniers mois, constatant que ces dernières années le « fabuleux journal de Reiser n’avait existé que pour assurer la promotion sociale d’un ambitieux ».

On a tout juste eu le temps de le faire avec Choron, Georges Bernier, de son vivant, alors n’attendons pas pour célébrer François Cavanna et le remercier de tout ce qu’il a apporté à la liberté de pensée, à l’écriture, et à l’humour. ff

À lire aussi : « Bête et méchant » (livre de poche), pour ceux qui rêvent de vivre l’aventure exaltante de la création d’un journal, et « Cavanna raconte Cavanna », le hors-série de Charlie-Hebdo, pour comprendre pourquoi Philippe Val n’avait aucune chance de devenir Cavanna.

Illustrations, dessin de Charb, Willem et d’Honoré parus dans « Cavanna raconte Cavanna », hors-série de Charlie, toujours en vente.